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L’entreprise industrielle, acteur incontournable du monde d’après

Tribune d'expert par Boris Lombard, Président de KSB France

Exit les voyages à l’autre bout du monde, les salons des aéroports, les grand-messes managériales et autres séminaires de motivation collective. La crise qui vient de nous contraindre à un strict confinement domestique n’a pas uniquement chamboulé nos habitudes quasi-pavloviennes de « global managers ». Elle nous a rendus conscients de la vulnérabilité du monde, dont les avancées technologiques nous avaient bercés dans l’arrogante illusion d’une forme d’invincibilité.

Y aura-t-il pour autant un avant et un après ? J’ai la faiblesse de le croire, sans doute porté comme beaucoup d’autres, par le biais cognitif qui consiste à voir dans toute crise la confirmation de ses propres intuitions passées, comme un socle inattendu qui confère soudainement à ses propres élucubrations une crédibilité renouvelée. Restons donc prudents : en ces temps perturbés où la sidération prend souvent le pas sur le discernement, envisager l’avenir est un exercice autant exaltant qu’hasardeux, qui appelle par conséquent une forme de modestie lucide.

Télétravail : oui mais…

Au sein de l’entreprise, cette crise nous invitera certainement à une frugalité durable, faite de moins de déplacements, davantage de télétravail et de réunions en visioconférence. Il va nous falloir osciller entre notre appétence sociale, encline à favoriser les retrouvailles avec nos collègues de bureau et la facilité déconcertante à animer un séminaire avec Chinois et Américains depuis son cocon familial. Attention toutefois aux effets de mode : le télétravail n’est pas la panacée. Il bride sans aucun doute la dynamique de groupe, l’importance de l’informel dans le partage du savoir-faire, la prépondérance du non-verbal dans la communication entre individus. IBM précurseur du concept l’a finalement abandonné : la capacité d’innovation de l’entreprise en pâtissait.

La planète n’a plus le temps

Modalités opératoires à part, le monde d’aujourd’hui nous apparaît bien plus fragile que nous ne l’avions imaginé. Colosse aux pieds d’argile, il est à la merci de catastrophes naturelles, de coupures énergétiques. Nous devons donc sans plus attendre intégrer la nécessité dans nos industries de protéger l’environnement en nous appuyant sur un cadre normatif et fiscal contraignant, au niveau européen, à l’instar des règles de droit du travail qui se sont peu à peu imposées à nous. L’analogie ne vaut toutefois pas d’un point de vue temporel : les conquêtes sociales se sont étalées sur des décennies. La planète, quant à elle, n’a plus le temps. Il est aujourd’hui inconséquent que d’imaginer une croissance fondée sur la disponibilité de ressources infinies. Cette vulnérabilité nous appelle à également construire des organisations plus résilientes, avec des modèles économiques et sociaux capables d’absorber de soudaines fluctuations entre phases de repli et d’expansion. La diversification vers des activités répondant à des cycles économiques distincts, la dimension géographique de la gestion du risque client et fournisseur, la nécessité d’un écosystème agile sur lequel pouvoir s’appuyer et la mise en place de chaines d’approvisionnement plus courtes vont sans aucun doute davantage nourrir à l’avenir les réflexions des dirigeants d’entreprises.

La relocalisation a ses limites

La division fragmentée du travail autour du globe a réduit le savoir-faire de chaque individu à la portion congrue, nous faisant perdre toute capacité d’autonomie si bien que nous ne pouvons nous passer de nos congénères –parfois distants- pour survivre. Il est clair que dans des secteurs essentiels, comme ceux de l’alimentaire, la santé ou de l’énergie, le besoin impérieux d’une forme d’autosuffisance retrouvée va sans cesse davantage s’affirmer. Les hérauts de la fermeture des frontières nationales peuvent toutefois déchanter. Ce n’est qu’à l’échelon européen que cette forme d’autonomie peut s’accomplir tant nos chaines de valeur et nos économies sont intégrées. Parce que nous avons besoin du commerce mondial pour développer nos affaires, parce que nous ne disposons pas souvent des ressources naturelles, parce que le coût des composants « made in Europe » est parfois prohibitif, cette crise ne sonne pas pour autant le glas de la mondialisation. La relocalisation d’activités annoncée bien avant la crise devrait donc s’accroitre, encouragée par des investissements dans la durée dans une industrie plus robotisée, plus agile et plus compétitive, capable d’offrir à chacun de ses clients produits et services sur-mesure immédiatement disponibles. Cette tendance va toutefois se heurter au manque de visibilité dans l’avenir, pourtant indispensable à tout investisseur. En France, s’y ajoutent la faiblesse d’un écosystème industriel souvent peu étoffé, les difficultés à trouver de la main d’oeuvre qualifiée et des impôts de production élevés qui font de notre pays une terre peu attractive pour tout investissement ex-nihilo.

Repenser le rôle de l’entreprise

Enfin cette crise pose plus que jamais la question du rôle de l’entreprise comme objet d’intérêt collectif, de sa gouvernance et du partage de la richesse créée, dans une période où la hausse du chômage et le creusement des inégalités peuvent avoir raison d’un équilibre social déjà sérieusement ébranlé, depuis le mouvement des gilets jaunes.

Face à un état qui ne peut pas tout et qui peine à assumer pleinement ses fonctions régaliennes –son impréparation face au risque de pandémie en atteste-, l’entreprise s’impose, presque malgré elle, comme un acteur incontournable de la vie de la cité, à plus d’un titre. Tout d’abord comme lieu d’inclusion : dans sa capacité à agréger, autour d´un projet commun, les talents, la diversité des parcours, des savoir-faire et des expériences. Ensuite, comme le maillon naturel entre macro et micro-économie, celui où peuvent se concrétiser de manière tangible les politiques de lutte contre le changement climatique. Enfin, comme levier majeur des politiques d’aménagement du territoire : le télétravail nous enseigne en effet qu’il ne faut plus nécessairement habiter dans les grandes métropoles pour être opérant et l’impact structurant de l’industrie apparaît comme une évidence, comme l’épine dorsale d’une activité économique autour de laquelle s’agrègent les services locaux et se cristallise un écosystème durablement viable.